L’entrepreneuriat en économie sociale et solidaire pour le développement des fermes urbaines : étude sur 4 fermes urbaines japonaises
À travers le monde, les entreprises agricoles urbaines se développent prenant autant la forme de fermes de quartier ou de proximité ou encore de larges exploitations en environnement contrôlé. Au Québec, Éric Duchemin et Jean-Philippe Vermette, dans le cadre des travaux du Laboratoire sur l’agriculture urbaine (AU/LAB) et du Carrefour de recherche, d’expertise et de transfert en agriculture urbaine (CRETEAU) ont récemment proposé une définition pour la ferme urbaine.
Selon cette définition, au Québec, on comptait 721 fermes urbaines hors zonage agricole en 2019, pour un revenu évalué à un peu plus de 250 millions de dollars et un total de 1 431 emplois directs[1]. Le secteur des entreprises agricoles urbaines croît de 30% par an au Québec, et ce depuis 10 ans. Un peu plus de 30% de celles-ci sont sous une forme coopérative ou organisation à but lucratif.[2]
Le rapport Economic Viability of Urban Agriculture in Boston publié en 2015, précise que les impacts sociaux des fermes urbaines devraient être évalués et qu’il serait bénéfique que ces entreprises bénéficient d’un soutien financier adapté de la part des pouvoirs publics. La crise sanitaire de la covid-19 a d’ailleurs mis en évidence l’importance des fermes urbaines pour l’alimentation locale et la nécessité d’un soutien des citadins ainsi que des institutions publiques pour ne pas interrompre l’essor de ce secteur dynamique.
L’article Social Entrepreneurship and Social Business Associated with Multiple Functions of Urban Agriculture in Japan, publié en 2020 dans la revue Asia-Pacific Journal of Regional Science et rédigé par Lily Kiminami, Shinichi Furuzawa et Akira Kiminami, s’intéresse particulièrement aux fermes urbaines ayant une importante dimension sociale. Les auteurs y étudient l’importance accordée par la population de plusieurs villes japonaises à la multifonctionnalité des fermes urbaines. A partir de deux méthodes originales et complémentaires, ils explorent le lien entre la créativité des individus, le capital social et l’entrepreneuriat en économie sociale et solidaire.
L’entrepreneuriat en agriculture urbaine et en économie sociale et solidaire évolue suivant les décisions des parties prenantes et l’influence des institutions sociales
Dans cette étude, la méthode de trajectoire développementale (MTD), empruntée au champ de la psychologie, vise à retracer l’histoire d’entrepreneurs à la tête de fermes urbaines. Kiminami et ses collègues ont identifié les opportunités de décision, appelées points de bifurcation (bifurcation points), et si ces décisions conduisaient l’entreprise à renforcer ses dimensions sociales et solidaires ou à les atténuer.
Trois exploitations agricoles urbaines ont été incluses dans cette étude, une ferme communautaire, une exploitation porcine, un vignoble et regroupement familial d’entreprises laitières. Cette diversité est à l’image de l’agriculture urbaine au Japon, soit des exploitations dont les alentours ont été urbanisés, mais qui ont fait perdurer une production agricole de très forte proximité.
La ferme communautaire de 1 000m² comporte des activités rizicoles, maraîchères, un espace de barbecue ainsi qu’une aire de jeux. L’entrepreneur a créé son entreprise agricole grâce au soutien de la municipalité de Kunitachi, où se trouve la ferme. C’est une certaine sensibilité environnementale qui l’a conduit à s’engager en agriculture avec l’objectif de sensibiliser les riverains à la multifonctionnalité des fermes urbaines.
En plus de l’élevage, l’exploitation porcine fait de la transformation, de la vente directe et possède un espace barbecue. Dans ce cas, l’entrepreneur a hérité de la passion de son père et a souhaité diversifier l’activité d’élevage pour la revitaliser. L’activité sociale de l’entreprise consiste principalement à faire la promotion de l’alimentation locale auprès des riverains.
De son côté, le vignoble urbain est une exploitation très diversifiée avec une activité de restauration, des sources chaudes et même un salon de beauté. Le propriétaire s’est tourné vers l’activité viticole après une formation en Allemagne à la German National Wine School. Le succès de son entreprise est surtout lié à la mobilisation d’un capital social important qui lui permet de bénéficier du soutien d‘autres viticulteurs et viticultrices des environs, d’un financement attribué par les institutions publiques locales et de nombreux partenaires commerciaux. De plus, la ferme repose sur un système d’investissement coopératif, où de petites parts de l’entreprise ont été achetées par des consommateurs. C’est notamment cette implication des consommateurs dans le capital financier de l’entreprise qui en fait un exemple qui intègre certaines valeurs de l’économie sociale et solidaire.
Le regroupement familial d’entreprises laitières qui a été étudié repose sur des activités rizicoles, d’ensilage de céréales, de fabrication de crèmes glacées, de restauration, de barbecue, d’élevage de bœufs et finalement de compostage. C’est l’exploitation la plus diversifiée des activités considérées dans l’étude. À nouveau, l’entreprise agricole a démarré grâce à un héritage familial et l’influence du père de l’entrepreneur, investis dans les syndicats agricoles locaux. Pour le propriétaire du groupe, c’est un stage à l’étranger, en Californie (États-Unis), qui a stimulé, lui et sa famille, à développer plusieurs activités agricoles complémentaires.
Après avoir rencontré ces entrepreneurs, les auteurs ont analysé les étapes du développement personnel de l’entrepreneur et de sa ferme urbaine, tout en évaluant si leurs décisions orientent leur modèle d’entreprise vers des objectifs d’économie sociale et solidaire. Dans les quatre cas de l’étude, les entrepreneurs ont évolué d’un niveau d’intégration des valeurs de l’économie sociale et solidaire bas à un niveau élevé au fur et à mesure des décisions qu’ils ont prises. Ce qui est d’autant plus souligné par ces trajectoires, c’est que l’intégration des dimensions sociales dans le modèle économique des fermes urbaines est facilitée lorsqu’un capital social élevé est maintenu ou renforcé.
Le capital social, au centre de l’entrepreneuriat en économie sociale et solidaire en agriculture urbaine
Cette étude expose comment les entrepreneurs en agriculture urbaine développent des modèles de fermes urbaines en économie sociale et solidaire. D’après l’analyse de Kiminami et ses collègues, le développement des entreprises sociales, accompagnées par les institutions publiques et l’entrepreneuriat local, crée des dynamiques vertueuses qui font la promotion des fermes urbaines engagées en économie sociale et solidaire. Si l’ensemble des cas étudiés montre que les décisions prises par les entrepreneurs rencontrés renforcent les dimensions sociales et solidaires des fermes urbaines, ils expliquent également l’interrelation des institutions et des entreprises sur ce développement. Les uns influençant les autres et vice versa.
Finalement, en retraçant l’histoire de ces quatre entrepreneurs et de leur entreprise en agriculture urbaine, les auteurs constatent que le maintien actif et le développement du capital social lié à l’entreprise sont primordiaux pour le démarage des fermes urbaines et ce, tout au long de leur développement. C’est donc, en soutenant l’entrepreneuriat et la création de capital social que les fermes urbaines continueront à évoluer. C’est pourquoi des politiques gouvernementales pour soutenir l’entrepreneuriat social sont essentielles afin d’engager le cycle vertueux du développement de l’économie sociale et solidaire en agriculture urbaine et l’accumulation de capital social.
Source
Kiminami, L., Furuzawa, S. et Kiminami, A. (2020). Social Entrepreneurship and Social Business Associated with Multiple Functions of Urban Agriculture in Japan. Asia-Pacific Journal of Regional Science. doi: 10.1007/s41685-020-00154-8
Notes
[1] Pour plus d’informations : Les entreprises agricoles urbaines au Québec : impact et potentiel économique
[2] Portrait de l’agriculture urbaine commerciale au Québec en 2019
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Logan Penvern (3 février 2021). L’entrepreneuriat en économie sociale et solidaire pour le développement des fermes urbaines : étude sur 4 fermes urbaines japonaises. AgriUrbain. Consulté le 16 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/auhg