Les fermes urbaines maraîchères : entre aspirations et viabilité
Dans leur article intitulé La viabilité du maraîchage urbain à l’épreuve de l’installation professionnelle publié dans les Cahiers Agricultures, Lou Plateau et ses collègues étudient deux initiatives belges, implantées dans la région de Bruxelles. La première, Cycle Farm, une coopérative de production créée par deux maraîchers, et la deuxième, Graines de paysans, un espace test agricole (ETA) où six personnes ont démarré leur activité en 2016.
En plus de la rentabilité économique, sept dimensions de la viabilité d’un projet de ferme urbaine ont été identifiées à l’aide des parties prenantes du projet de recherche :
- La gestion du temps et la qualité du travail ;
- L’accès au foncier ;
- La construction et la préservation de la fertilité physique et biologique des sols ;
- Les techniques et outils de production mobilisés ;
- Les canaux de commercialisation déployés ;
- L’autonomie énergétique du projet ;
- La mobilisation d’une main-d’œuvre bénévole.
Parmi celles-ci, trois principales dimensions semblent influencer la pérennité des entreprises maraîchères. Plateau et ses collègues les nomment « nœuds de viabilité ». Ces nœuds de viabilité correspondent à des thématiques en tension engendrant des dilemmes importants pour concilier la viabilité de l’entreprise et les aspirations personnelles. Il s’agit de la stratégie d’accès au foncier, du dilemme de la mécanisation et de la mobilisation de main-d’œuvre bénévole.
L’accès au foncier : impact
Pour la plupart des entreprises d’agriculture urbaine, l’achat d’un terrain est quasiment impossible. Pour l’ETA Graines de paysans, c’est sur des terrains de 15 ares, soit 1500 m², rendus disponibles pour 2 ans, que les six personnes développent leur activité. Celles-ci ne peuvent pas s’installer durablement sur les terres de l’ETA. Les difficultés à démarrer une entreprise sur une si courte durée ont été exprimées par les personnes rencontrées et des demandes pour prolonger la durée de bail à une durée minimale de 3 ans ont été formulées. D’une part, les problématiques d’accès au foncier contraignent donc l’ETA Graines de paysans à modifier son principe de fonctionnement, d’autre part, les maraîchères et maraîchers expérimentent le métier sans pour autant pouvoir poursuivre, par la suite, leur activité sur ce site.
En ce qui concerne Cycle Farm, l’initiative se déploie sur plusieurs sites. Les deux porteurs de projets sollicitent des propriétaires de jardins privés pour y implanter des parcelles cultivées via la technique du Spin Farming. Au démarrage de l’activité, c’étaient 4 sites, distants de plus de 5 km qui étaient cultivés. En 2018, une réorganisation et l’acquisition de nouveaux sites ont conduit à conserver seulement 5 sites, concentrés dans un rayon de 3 km pour une surface totale de 50 ares (5 hectares) partagée entre les deux associés. L’entreprise dispose également d’une pépinière et d’une station de lavage des légumes dans une autre partie de la ville. Cette fois, la gestion multisites pose un défi majeur et la viabilité de l’activité s’est vue questionnée par ce modèle, qui a été reformulé en conséquence.
Ainsi, l’accès au foncier contraint non seulement les surfaces disponibles pour le maraîchage, mais également la stabilité des entreprises sur le long terme. De plus, dans les deux cas, l’occupation de terrains cédés pour un court terme n’encourage pas la mobilisation de pratiques agroécologiques, une volonté pourtant exprimée au démarrage de l’activité.
C’est dans ce contexte que des programmes de maillage, d’encadrement du foncier et de l’utilisation de l’espace public peut venir pallier les difficultés de l’accès au foncier pour les fermes urbaines.
Le dilemme entre travail manuel et mécanisation
Dans la plupart des cas, un recours au travail manuel et à des sources d’énergie écologiques est souhaité. Ici, les deux modèles étudiés n’envisageaient pas de recourir à la traction animale. Alors que l’utilisation d’engins motorisés n’est pas possible dans le cas de Cycle Farm, les parcelles de l’ETA le permettent. Dans ce cas précis, même si la volonté initiale était de ne pas utiliser d’énergies fossiles, cette tension s’est ressentie à plusieurs reprises, notamment face aux fluctuations de la charge de travail.
Par ailleurs, l’achat de nouveau matériel représente une charge financière importante. Même si des outils de précisions, écologiques et adaptés au maraîchage urbain existent, ces derniers ne sont généralement pas conçus localement. Une nouvelle fois, l’importation de ces outils confronte les aspirations écologiques des personnes portant les projets. Deux pistes de conciliation sont identifiées : l’auto-construction de leurs outils ou le recours à l’artisanat local.
Finalement, la charge de travail, l’achat ou la construction de matériel plongent les maraîchers et maraîchères dans ce dilemme entre travail manuel et mécanisation. Ce sont alors leur inventivité et les ressources locales qui déterminent les solutions mobilisées pour favoriser la viabilité de l’entreprise.
La main-d’œuvre bénévole : une charge de travail supplémentaire pour déléguer certaines tâches
Dans les deux cas à l’étude, les projets font appel à une main-d’œuvre bénévole. En plus de l’accueil de bénévoles, une collaboration entre les agricultrices et agriculteurs peut permettre d’optimiser la charge de travail. Cependant, cette entraide peut également laisser place à des tensions, notamment lorsque les entreprises sont en concurrence. D’après Plateau et ses collègues, c’est ce qui peut expliquer le recours préférentiel à une main-d’œuvre bénévole plutôt qu’une coopération systématique dans le modèle entrepreneurial de l’ETA.
La main-d’œuvre bénévole contribue, dans les deux cas, à l’augmentation de la force de travail et au bien-être moral et physique des maraîchers malgré l’encadrement nécessaire. En effet, le temps investi pour les bénévoles est conséquent. D’une part, leurs attentes sont variées, d’autre part, des compétences de gestion, d’animation et de transmission de savoir-faire sont indispensables.
Si l’analyse des auteurs montre qu’un soutien en main-d’œuvre peut avoir un impact sur les activités maraîchères à deux niveaux : en offrant une force de travail supplémentaire sans surcoût et, de manière moins attendue, en contribuant positivement au bien-être moral et physique du maraîcher, selon eux, la plus-value du travail bénévole régulier dans un projet maraîcher (en phase d’installation ou de routine) doit toutefois être nuancée. En effet, l’encadrement de personnes qui n’ont pas ou peu de connaissances agricoles prend du temps et requiert des compétences spécifiques. En outre, le maraîcher doit bien souvent composer avec des bénévoles aux disponibilités et attentes variées, et dont l’apport, par conséquent, sera inévitablement de nature et d’intensité variables.
L’analyse transversale des nœuds de viabilité présentés souligne pour les auteurs que l’installation des maraîchers urbains passe par la (re)construction d’une communauté de pratiques, c’est-à-dire la constitution d’un ensemble de réseaux socioprofessionnels diversifiés et adaptés aux besoins particuliers des maraîchers.
Pour conclure, Plateau et ses collègues rappellent que ces initiatives de maraîchage urbain contribuent à la transformation du système alimentaire. Un soutien structurel, aux niveaux politique et financier, semble nécessaire pour répondre aux nœuds de viabilité, développer des entreprises en agriculture urbaine et en assurer la viabilité.
Source
Plateau, L., Maughan, N., Pipart, N., Visser, M., Hermesse, J. et Maréchal, K. (2019). La viabilité du maraîchage urbain à l’épreuve de l’installation professionnelle. Cahiers Agricultures, 28. doi: 10.1051/cagri/2019005